vendredi 18 février 2011

Ces voisins dont on ne parle pas...

Mes voisins de droite, R. et N. sont deux êtres particulièrement charmants. Chaque fois qu'on les croise, ils nous saluent, prennent de nos nouvelles. Si on a un pépin manuel avec une bricole dans la maison, on peut cogner à leur porte et R. vient à la rescousse. R. a toujours un large sourire au visage et parle d'une voix douce et joviale. N. est son complément positif. Elle a les cheveux blonds frisés qu'elle remonte en queue de cheval savamment dépeignée et elle rigole sans arrêt en voyant X-Boy.

Cela fait deux ans que nous les voyons sortir tous les jours, été comme hiver, marcher ensemble pour une longue promenade. L'été, les bottes d'hiver se transforment en vélos et ils font d'encore plus longues randonnées. Ils ont un bateau bien propre (R. est un vrai homme de "bagnoles astiquées") et ils partent très souvent en voyage de pêche. R. a même inité N. à l'art de la chasse et c'est maintenant elle qui a les plus belles prises. R. nous raconte ça en riant et son visage ridé à la George Clooney me fait un peu rêver. X-Man et moi parlons parfois d'eux en nous disant, "wow, espérons qu'à leur âge, nous serons encore aussi près l'un de l'autre. T'as vu à quel point ils se regardent avec un regard complice?".

Mmm. Bien sûr, ils doivent avoir des atomes moins crochus et des disputes pour des riens. Mais en deux ans de "cohabitation" (les maisons collées, c'est "in"), nous ne les avons jamais entendu lever le ton. Au contraire, on les voit se glisser dans leur piscine très tard le soir et ça nous fait sourire en coin. R. et N. sont bien sensibles à l'histoire particulière de X-Boy. Ils nous trouvent bien courageux de passer au travers ces épreuves et ils nous encouragent. Chacun ses héros, oui.

Hier après-midi, vingt minutes avant d'aller se vautrer dans la piscine du cégep, ça sonne à la porte.

J'ouvre. Je ne le reconnais pas. C'est R.

- Allô R.!!! Ça va?

- Non.

Je feignais la bonne humeur, voyant bien que les rides avaient creusé jusqu'aux os.

- Qu'est-ce qui se passe, R. Tu m'inquiètes, là...

- C'est N. Elle est décédée dimanche matin.

- ...

- ...

Je l'ai pris dans mes bras et j'ai bafouillé quelques sympathies d'usage. Mais dans mon coeur, ça faisait craaaaaaaaaaaaac et j'avais le cerveau en bouillie.

- Voyons donc, R. C'est arrivé comment???

- Elle avait une grippe la semaine dernière... et samedi matin, elle m'a dit: "R. faut aller à l'hôpital." Elle ne se sentait vraiment pas bien. À l'hôpital, ils l'ont traitée pour une bronchite puis ils l'ont gardée sous surveillance. Je suis revenu à la maison et on m'a téléphoné dans la soirée. C'était urgent. N. avait fait un gros infarctus. Et dimanche matin, ils ont décidé de la transférer à un hôpital de Montréal... mais elle n'a pas réussi à se rendre.

- ...

- X-Mom, j'ai perdu mon ange... Mon rayon de soleil. C'est comme si j'étais à moitié vivant.

- Oh. R. Il n'y a pas de mots pour ça.

- Tu sais, ce qui me dérange, c'est qu'il y a plein de gens qui survivent à ce genre d'épreuves et qui vivent encore une bonne vingtaine d'années. N., elle, pas de chance, rien à faire. Elle est partie direct.

- C'est impossible à comprendre.

- Je fais quoi, moi, avec tous nos projets. On en avait plein en tête...

- J'imagine, oui. Vous étiez toujours ensemble.

- ... Exactement. Et on était heureux.

R. a déballé ses sentiments comme si nous étions de grands amis depuis des années. Un homme qui s'ouvre ainsi, ça me chavire grandement. Et en même temps, je me suis dit, écoute-le, X-Mom, car il a besoin de parler.

- Je suis en colère en ce moment.

- C'est normal, tu sais. Je vais être plate, mais ce sont les étapes du deuil. Bien que je ne vive pas la même situation, avec X-Boy, j'en ai vécu, des deuils. Différents, mais les étapes sont les mêmes. Et la colère, elle est nécessaire. Et vis-la à fond. Sinon, elle va te hanter.

- ...

- Et c'est clair que tout le monde va te dire "La vie continue, R.", mais toi, tu ne veux pas qu'elle continue. Tu veux revenir en arrière, voir ce que tu aurais pu faire, comprendre, voir et recommencer. Et la vie, elle continue, oui. Mais sans elle? Pourquoi, hein???

- ... X-Mom, tu es la première à me dire ça... Merci. Ça me fait du bien.

- Je suis certaine que tu vas retrouver le sourire, R. Ça te va trop bien! (Et j'ai ri...)

- Tu trouves le moyen de me faire sourire, X-Mom.

- Ouais... je suis désolée. Je ne voulais pas faire de l'humour. Ce n'est pas le temps de rire.

- Mmm. Mais N., elle, elle riait tout le temps.

- ...

- Je suis sûr qu'elle sera toujours là avec moi.

- Moi aussi, R.

- Je suis désolé de te déranger avec tout ça. Je voulais que tu saches... Avec tout ce que vous vivez, vous n'avez pas besoin de mauvaises nouvelles comme ça...

- R... Franchement. Si tu as besoin de quoi que ce soit, viens nous voir.

- Vous en avez assez sur les épaules comme ça...

- ... (Soupir)

- Allez, X-Mom, je te laisse t'occuper de X-Boy. Je l'entends rire depuis tantôt. Décidément, c'est drôle chez vous...

- Tu vois, si tu veux rire, t'as qu'à cogner!

- J'en prends note... Bonne fin de journée. Tu salueras X-Man de ma part.

- Bonne chance, R.

***

En route vers la piscine, j'avais les pensées dans l'eau. Et j'ai failli avoir un accident très sérieux sur la route. Les klaxons m'ont réveillée à temps. X-Boy s'est mis à pleurer. Moi aussi. Je me suis rendue dans le stationnement du cégep et je me suis ressaisie.

La vie continue.

Elle est là, dans ma voiture et elle veut aller nager. Plonge, la grande, la peur ne sert à rien.

3 commentaires:

  1. Très triste ton histoire!!! Pas facile de passer au travers d'un deuil... J'espère que ton voisin réussira à passer au travers.

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  2. Oh, c'est tellement triste.
    Et toi, tu es une gentille voisine ;-)

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  3. Vraiment triste.. J'en ai les larmes aux yeux.

    Mes sympathies à vous et votre voisin...

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